BIRZMAN, LA PETITE MARQUE QUI PÉDALE DUR
Wang Wan-chia
Depuis le village de Dacun, dans le district de Changhua, la société Dirotech, un fabricant de pièces détachées pour vélos, est parvenue à lancer une marque internationale dotée d’une forte identité
Installée au milieu des rizières de Changhua dans un bâtiment de 6 200 m2 à l’architecture minimaliste inspirée des principes de Tadao Ando, la société Dirotech est peut-être inconnue du grand public mais dans le monde du vélo, sa marque, Birzman, n’a plus à être présentée. Leader du secteur de la pièce détachée et des accessoires pour vélo, Birzman, lancée il y a quatre ans, a remporté de nombreux prix iF et red dot, et même une récompense décernée conjointement par iF et Eurobike, le plus grand salon international de la bicyclette.
Taiwan possède l’une des plus importantes industries du vélo dans le monde, avec des marques comme Giant et Merida, et on compte plus de 400 fabricants de vélos ou de pièces détachées dans le seul district de Changhua, soit 70% du total du secteur à Taiwan.
Dirotech a été fondée en 1991 par Lawrence Kuo [郭中村], avec un capital de départ de 430 000 dollars – une somme provenant d’une tontine dont sa mère était membre. Parti d’un chiffre d’affaires de 8 millions de dollars, Dirotech, qui au départ ne faisait que de la sous-traitance, avait atteint 380 millions en 2007. C’est à ce moment-là que Lawrence Kuo a commencé à réfléchir à créer sa propre marque, en s’inspirant de sa connaissance du marché et des attentes des consommateurs. En particulier, les cyclistes sont toujours à la recherche de matériel plus léger et plus pratique d’utilisation. Une idée-force qu’il saura exploiter.
La mini-boîte à outils Feexman. (AIMABLE CRÉDIT DE BIRZMAN)
« Les designs de Birzman sont toujours proches de la nature », dit le chef d’entreprise en prenant l’exemple de sa mini-boîte à outils inspirée des plumes d’oiseau. Ont suivi quantité d’outils au design impeccable comme ce dérive-chaîne inspiré d’une libellule en bambou avec laquelle il jouait enfant ou cette mini-pompe ergonomique en forme de tronc d’arbre. L’intelligence de Lawrence Kuo a aussi été de recruter des personnalités du vélo comme porte-parole. Le champion de vélo tout terrain espagnol José Antonio Hermida, par exemple, a vanté les vertus de la clé dynamométrique et numérique Birzman.
Revenant sur son expérience de patron d’une PME de sous-traitance qui se lance dans la cour des grands en créant une marque, l’entrepreneur souligne qu’il est bien plus facile de travailler sous contrat pour un gros client. « Mais créer et gérer sa marque, c’est bien plus satisfaisant ! » Et l’aventure a pour lui une dimension supplémentaire. Il se souvient des petits villages européens qu’il a visités lors de ses voyages d’affaires, et qui, bien souvent, affichent fièrement une tradition plus que centenaire dans la brasserie, la coutellerie ou encore la production viticole, par exemple. Peut-être qu’avec le temps, Dirotech et les autres PME du secteur rassemblées aux alentours conféreront à son village natal de Dacun une identité forte.
Le coussin pour iPad, un confort de plus pour l’utilisateur. (AIMABLE CRÉDIT D’IPEVO)
QUAND INNOVATION RIME AVEC SIMPLICITÉ
W. W.-c.
IPEVO est l’une des nombreuses sociétés qui ont sauté dans le train Apple
Pour IPEVO, la consécration est arrivée par hasard. L’histoire remonte aux premières heures d’existence de l’iPad, en 2010, lorsqu’un ingénieur chargé d’en faire la démonstration dans les écoles a acheté sur Internet la caméra P2V d’IPEVO. Légère et très maniable, elle ne coûtait qu’un dixième du prix des caméras numériques alors sur le marché. Son public a tout de suite été séduit par ce gadget.
Quand le produit lui a été présenté, Steve Jobs lui aussi a été bluffé, raconte avec fierté Royce Hong [洪裕鈞], directeur général d’IPEVO. Le génial inventeur américain s’est d’abord étonné qu’on ressente le besoin d’ajouter une caméra externe à un objet comme l’iPad qui en comporte déjà une, mais il a tout de suite compris l’intérêt de pouvoir pointer l’œil de la caméra sur n’importe quel objet, à n’importe quel angle, et s’est exclamé : « Ce qui serait vraiment cool, c’est qu’elle soit montée sur un pied comme un microscope ! » En fait, IPEVO y avait déjà pensé...
Un an après le lancement de la P2V, plus de 2 000 établissements scolaires américains s’en étaient équipés, et les ventes étaient tellement fortes que ce produit représentait 60% du chiffre d’affaires de la société.
Fondée en 2007, IPEVO était à l’origine le département matériel informatique de PChome Online. C’est parce que cette société Internet était partenaire de Skype pour Taiwan qu’elle a eu l’idée, avec Royce Hong à sa tête, de créer un combiné téléphonique spécialement pour les communications Skype. En 2005 sortait le premier modèle de ce drôle de téléphone sans fil dont il s’est vendu plus d’un million d’exemplaires.
Royce Hong, le PDG d’IPEVO, aime prendre les technologies à rebours. (HSUEH CHI-KUANG / TAIWAN PANORAMA)
Diplômé de la prestigieuse Ecole de design de Rhode Island, aux Etats-Unis, Royce Hong, 41 ans, aime observer le comportement des gens dans la vie quotidienne pour nourrir sa créativité. « Le vrai design industriel ne se contente pas d’habiller un produit : il s’agit de se fondre dans l’expérience de l’utilisateur et de penser à comment cet objet fonctionne plutôt qu’à son aspect extérieur. Il faut chercher la valeur en profondeur. L’apparence n’est que le résultat du sens esthétique du designer. » Cette approche qui a fait naître le téléphone Skype a aussi été appliquée à la caméra P2V et son concept « regarde ce que je vois ». On peut la retrouver dans d’autres produits comme le coussin Cushi pour iPad ou le bracelet-montre en cuir Chrono pour iPod Nano.
Mais le produit n’est pas tout. Royce Hong explique la leçon capitale apprise avec la P2V sur le marché américain : inutile de gaspiller son argent à se faire référencer dans les grands réseaux de distribution américains comme Best Buy ou Fry’s, qui non seulement prélèvent une part énorme des profits mais coupent le fabricant de l’utilisateur en bout de chaîne.
IPEVO s’est finalement construit son propre site de vente en ligne à Taiwan et aux Etats-Unis. Qui plus est, le site offre aux clients un « service déballage » inspiré de la nouvelle mode des photos ou vidéos postées sur le web par des utilisateurs de produits électroniques pour expliquer comment sortir ceux-ci de leur boîte et les mettre en marche. Trois photographes professionnels ont été recrutés pour faire la même chose avec les produits IPEVO. Une fois encore, IPEVO se démarque donc avec cette attention accordée à l’utilisateur.
Erich Huang, de Just Mobile, présente Slide, un portant transparent pour iPad qui a été récompensé d’un prix red dot. (LAN CHUN-HSIAO / TAIWAN PANORAMA)
MOT-CLÉ : MOBILITÉ
W. W.-c.
Rien de tel pour attirer l’attention que des produits tellement simples qu’ils se laissent oublier. Démonstration avec Just Mobile, une société basée à Taichung
Just Mobile, créée il y a sept ans, était un sous-traitant parmi d’autres avant de se lancer dans le secteur des accessoires dédiés aux produits Apple. Erich Huang [黃趙光], le propriétaire de Just Mobile, raconte comment en 2005, il a créé une société avec Nils Gustafsson pour fabriquer des batteries pour téléphones portables et des cartes réseau pour PDA. Lui-même parcourait Taiwan et la Chine à la recherche des meilleurs composants, et s’occupait de la partie production, tandis que son ami allemand supervisait les ventes en Europe et les commandes en sous-traitance avec les grands fabricants de téléphones portables. « La marque Just Mobile existait mais toute notre attention était concentrée sur notre production en sous-traitance. »
Ces dernières années, l’émergence des smartphones bourrés de fonctions high tech et d’applications Internet a rendu inutiles bon nombre des accessoires sur le marché. Comprenant l’évolution, Just Mobile a décidé de se recentrer sur les accessoires dédiés aux produits Apple et de surfer sur la popularité de l’iPhone.
La stratégie choisie n’a pas été de se jeter dans la bataille en proposant une énième version des accessoires disponibles, mais plutôt d’en créer de nouveaux. Ainsi de Xtand, un pied pour iPhone qui permet à l’utilisateur d’avoir son précieux téléphone debout face à lui sur son bureau, à l’horizontale ou à la verticale, et dont le design s’inspire du vocabulaire esthétique d’Apple.
Malgré le scepticisme des experts qui se sont interrogés sur l’intérêt d’un tel objet, la réaction des fans d’Apple a été enthousiaste, et la marque a vite lancé un second modèle, le Xtand Pro pour MacBook. Les commandes ont afflué au point que le gadget jusque là qualifié d’inutile par les sites spécialisés a soudain été présenté comme un must.
Un des pieds conçus spécialement pour l’iPhone par Just Mobile – une idée qui a tout de suite parlé aux fans du smartphone d’Apple. (LAN CHUN-HSIAO / TAIWAN PANORAMA)
Conforté par ce succès, Just Mobile a étendu sa gamme de produits. En 2008, Erich Huang a pris part à un voyage de découverte de l’industrie du design en Scandinavie organisé par le Centre du design de Taiwan. Le voyage a débouché pour Just Mobile sur une coopération avec la société Tools Design. Ainsi est né un autre produit-phare de la marque, le stylet AluPen inspiré des gros crayons de couleur qu’affectionnent les enfants. Disponible en plusieurs couleurs, il s’en est vendu plus de 100 000 durant les trois premiers mois qui ont suivi son introduction sur le marché, et les copies grossières fabriquées en Chine n’ont pas tardé d’apparaître. Just Mobile répond à cette concurrence à bas prix en insistant sur la qualité de ses produits manufacturés à Taiwan.
Erich Huang a lui-même dessiné un autre produit qui a remporté un prix iF : le Cooling Bar, une barre de métal à placer sous l’ordinateur portable pour lui assurer une bonne ventilation. D’autres produits ont séduit les clients d’Apple, comme le Slide, un pied pour iPad conçu avec Tools Design, et récemment récompensé d’un prix red dot.
Just Mobile a actuellement une quinzaine de produits en rayon, qui lui ont valu une cinquantaine de prix dans des compétitions internationales de design et des publications couvrant l’actualité des produits Apple et de leurs accessoires.
Collecter des prix de design, dit Erich Huang avec humour, c’est un peu comme de collectionner les timbres ! Les prix sont un langage universel pour les amateurs et les professionnels, une façon pour Just Mobile de toucher un vaste public de gens partageant les mêmes références.
Elly Huang, directrice du design chez Shiang Ye, a injecté une nouvelle énergie à cette vénérable entreprise spécialisée dans la chaise. (HSUEH CHI-KUANG / TAIWAN PANORAMA)
UN DESIGN BIEN ASSIS
W. W.-c.
A contre-courant de la tendance, Shiang Ye a préféré conserver ses activités de production à Taiwan plutôt que de délocaliser en Chine. L’entreprise a misé sur le design pour renforcer sa notoriété et augmenter la valeur de sa marque
Vous nous connaissez depuis longtemps, c’est juste que vous n’en étiez pas conscients », dit Elly Huang [黃涵宜], 30 ans, directrice du design chez Shiang Ye, dans un discours d’introduction sur sa société.
En 2008, Shiang Ye, qui est spécialisée dans les chaises pliantes et les chaises en métal, a participé pour la première fois à une compétition internationale de design avec Novite, une chaise en plastique sans aucune vis, et celle-ci a remporté un prix red dot. Cette année, la société a réédité l’expérience avec Slim, une chaise pliante légère qui, en bon outsider, a surpris tout le monde en obtenant un iF d’or. Tout ça pour une chaise ?
En fait, Shiang Ye est loin d’être une nouvelle venue. Fondée en 1978 par Huang Congjie [黃聰傑] à une époque de rapide expansion économique, la société a fabriqué en sous-traitance pour des groupes internationaux et fourni le marché local. Shiang Ye emploie aujourd’hui environ 200 personnes et a sur ses catalogues une centaine de modèles de chaises qui équipent de nombreuses écoles, gares, aéroports et hôtels à Taiwan mais aussi dans 89 pays étrangers.
A l’exception de la galvanoplastie, sous-traitée à des sociétés spécialisées installées à Taichung, la société Shiang Ye assure elle-même 95% des processus de production, depuis le moulage du plastique jusqu’à la peinture, en passant par le travail du métal – un taux inégalé dans l’industrie manufacturière.
« La chaise qui ne casse pas n’existe pas, relève Huang Congjie en revenant sur la création de Novite, mais à une époque où le plastique est partout, avec les problèmes environnementaux que cela pose, nous avons décidé de créer une chaise en plastique entièrement “recyclable”, c’est-à-dire dont le matériau pourra être utilisé pour la fabrication d’autres objets. » Le résultat des recherches réalisées avec Chen Chun-tung [陳俊東], professeur de design à l’Université Shu Te, est une chaise pliante en polypropylène en cinq parties assemblée sans vis – la première du genre au monde. Novite et son esthétique moderne ont placé Shiang Ye sur des rails plus design.
Elly Huang, la fille du patron, qui a obtenu un mastère en design de la Domus Academy, en Italie, a créé un département de design, lequel a été chargé de dessiner une chaise légère, solide et bon marché. Ainsi est née Slim, qui a la particularité, une fois pliée, de n’avoir qu’une épaisseur de 2 cm – un détail qui, ajouté à son dessin simple et plaisant, a séduit le jury des prix iF.
Poursuivant ses recherches sur son thème de prédilection, la chaise, Elly Huang réfléchit aux options qui se présentent aujourd’hui pour développer le réseau de vente de Shiang Ye. Un site Internet est en construction, sans doute la meilleure façon de contourner la difficulté à se positionner sur un marché intérieur clairement scindé en deux : bas de gamme bon marché d’un côté, haut de gamme importé et cher de l’autre.
La notoriété est de toute façon déjà là. « Après avoir remarqué notre nom à cause des prix que nous avons remportés, les gens s’aperçoivent que nous avions toujours été un fabricant fiable et de confiance. Nous sommes un peu comme un vieil ami, familier mais mal connu. »